Dialogue social

Audition par la commission des Affaires sociales du Sénat le 8 février dernier

Catégorie : Dialogue social
Publié le jeudi 16 février 2017 10:42

Table ronde sur la problématique de la qualité de vie au travail des personnels hospitaliers avec des représentants des syndicats des praticiens hospitaliers

M. Alain Milon, président. - Nous poursuivons nos auditions consacrées à la question de la qualité de vie au travail des personnels hospitaliers en accueillant ce matin les organisations représentatives de praticiens. Nous avons déjà entendu les représentants du ministère de la santé, de la fédération hospitalière de France, de l'AP-HP et de la Haute Autorité de santé, puis, la semaine dernière, les représentants des organisations représentatives des syndicats infirmiers. Je crois que le constat des difficultés actuellement ressenties par les personnels hospitaliers n'a pas été contesté, y compris par les représentants des établissements et ceux du ministère de la santé, même si bien entendu des nuances sont apparues dans la mesure du phénomène et l'identification de ses causes. Il nous paraît important de pouvoir distinguer ce qui relève des contraintes générales auxquelles font face les établissements, confrontés à une activité plus soutenue que la progression des budgets, et ce qui tient davantage de l'organisation interne et du mode de fonctionnement des services.

Je remercie de leur présence ce matin : le Dr Jean Marie Scotton, du Syndicat national des médecins des Hôpitaux Publics ; le Dr Alain Jacob, délégué général de l'Intersyndicat national des praticiens Hospitaliers ; le Dr Max-André Doppia, président d'Avenir hospitalier ; le Dr Jacques Trévidic, président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH) ; le Dr Rémy Couderc, secrétaire national de la Coordination médicale hospitalière (CMH).

Docteur Jean Marie Scotton, du Syndicat national des médecins des Hôpitaux Publics (Snam-HP). - J'exerce depuis plus de trente ans ; j'ai été praticien hospitalier, chef de service, chef de pôle, membre de la commission statutaire nationale compétente pour les praticiens hospitaliers au sein du conseil national de gestion (CNG). 

Les risques psychosociaux à l'hôpital relèvent soit de cas individuels, soit de situations collectives dégradées. Les problèmes personnels relèvent de conflits entre médecins, au sein du corps soignant, ou entre l'administration et les médecins. Le recrutement est un moment-clé. J'ai constaté les évolutions depuis la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, en 2009. Avant, les candidatures étaient examinées et débattues collectivement au sein de la commission médicale d'établissement (CME). Celle-ci constituait un espace de dialogue social majeur. Les candidatures étaient examinées collégialement et les médecins étaient recrutés par consensus. Depuis, les pouvoirs ont été confiés aux chefs de pôles, au détriment des chefs de service. Au CNG, arrivent souvent des dossiers où les années probatoires ont été refusées. Quand on creuse un peu, on constate que les recrutements sont réalisés sans consultation, sans définition préalable d'un profil de poste, sans définition de la continuité des soins, etc. De même, certains directeurs, peu heureusement, abusent de leur pouvoir : procédures d'insuffisances professionnelles infondées, suspensions arbitraires, rapports à charge, etc. Cela est très dur à vivre pour les praticiens.  

Les situations collectives dégradées sont un autre facteur de risque psychosocial. Les chefs de service ont été affaiblis. Les conseils de service ont disparu. Ils constituaient pourtant un lieu d'échange important permettant au chef de service de présenter son projet, d'associer les médecins et le personnel. Aujourd'hui, chacun se sent isolé. En outre, l'hôpital a perdu en attractivité. On a des équipes médicales qui tournent grâce à des remplacements, avec peu de communication ; le sentiment d'isolement des médecins en souffrance s'accroît. Leur détresse est souvent méconnue, ce qui conduit à des drames. La charge de travail a aussi augmenté à cause de la tarification à l'activité (T2A) et de l'accroissement des tâches administratives. La permanence des soins impose des contraintes lourdes. Certaines catégories sont soumises à un stress élevé : urgentistes, chirurgiens, obstétriciens, etc. Impossible pour eux de se soustraire à trois jours de garde consécutifs car il faut faire face. 

Enfin, il faut évoquer les restructurations. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont précédés de préfigurations par le biais de conventions. Le déploiement de l'activité sur plusieurs sites s'effectue dans un contexte de restrictions budgétaires. Les jeunes médecins sont souvent obligés d'aller faire des gardes dans un établissement voisin, qui sont considérées comme des astreintes, au mépris des textes, sans respect des obligations de repos compensateur. L'IGAS préconise aussi des modalités d'organisation innovante des ressources médicales par groupe d'établissements. Mais les situations sont très variables. Derrière le projet médical partagé se cache parfois un ostracisme inacceptable. Si un service ferme dans le cadre d'une restructuration, il suffit que le nouvel établissement ne veuille pas des médecins en place pour que ceux-ci se retrouvent sans affectation ! C'est un facteur de stress important. Les commissions régionales paritaires et le CNG doivent avoir leur mot à dire dans ces cas-là.

Enfin, dans certaines situations potentiellement à risque, comme une procédure judiciaire ou une suspension brutale, les personnes devraient aussi pouvoir bénéficier d'un soutien psychologique, au-delà de la protection juridique, qui est à la discrétion du directeur. Une collègue me faisait part du stress qu'elle avait ressenti en recevant la convocation d'un juge. Le médecin se sent seul dans ces cas-là. Un cas de détresse très médiatisé m'a ému. Les médecins se sont retrouvés seuls, presque bannis de l'hôpital, leur maison cernée par les journalistes. Je n'oublierai jamais l'image de ce collègue allongé comme un gisant en salle de réanimation, avec sa femme à ses côtés, après une tentative de suicide...Il faut réfléchir à une prise en charge individualisée dans les situations de grande vulnérabilité.

Docteur Alain Jacob, délégué général de l'Intersyndicat national des praticiens Hospitaliers (INPH). - On parle toujours de ce qui ne marche pas, rarement de ce qui fonctionne. On parle des trains qui sont en retard, jamais de ceux qui arrivent à l'heure ! Évoquer les difficultés de l'hôpital public ne doit pas faire oublier qu'il assure sa mission, les avancées technologiques réalisées, les réorganisations réussies, etc. 

La médecine est un exercice difficile par nature avec des contraintes fortes, des tensions psychologiques importantes. La baisse du  numerus clausus s'accompagne d'une pression sur la démographie médicale à l'hôpital avec un accroissement de la charge de travail et des tensions. La question de l'attractivité de la médecine à l'hôpital, que la ministre s'efforce de renforcer, est aussi posée. Les conditions proposées aux jeunes praticiens ne les incitent probablement pas à consacrer leur carrière à l'hôpital comme leurs prédécesseurs ; désormais, les mobilités sont plus fortes, il faut en tenir compte. La T2A a sans doute été un progrès en reconnaissant les différentes activités et l'activité réalisée mais elle a fait passer l'argent au premier plan, dans la conduite des stratégies hospitalières, au détriment de la notion de service rendu et du sens de nos missions. La loi HPST, s'il elle a eu des avantages, a éloigné le praticien des centres de décision avec l'organisation polaire des établissements. Le lieu de décision a migré du service vers le pôle et les médecins se sentent dessaisis. Les GHT renforcent ce risque d'éloignement. Les notions de service médical et d'équipes de soin ne sont pas suffisamment mises en avant. 

Les systèmes d'information sont axés autour du dossier médical et de la tarification. Ils ont une visée financière et les praticiens ont le sentiment de perdre le sens de leur pratique. Ces facteurs sont des sources d'inquiétudes, de tensions, qui peuvent aboutir, dans des cas extrêmes, à des situations dramatiques. Les difficultés sont souvent tues ou étouffées jusqu'à ce que la situation explose, devienne insupportable, avec des conséquences lourdes - blessures ou suicides. La ministre va mettre en place des outils pour traiter ces difficultés en amont : des instances de conciliation au niveau local, émanant de la commission médicale d'établissement (CME), seront créées ; les commissions régionales paritaires seront dotées d'une structure de prévention et de résolution des conflits ; un médiateur national, M. Édouard Couty, a été nommé. 

Mme Catherine Génisson. - Très bien !

Docteur Alain Jacob. - Ces outils ne pourront être utiles que si l'on réfléchit aux causes des difficultés, du désarroi. Il faut travailler en amont.

Docteur Max-André Doppia, président d'Avenir hospitalier. - Nous sommes très honorés d'être reçus en tant que représentants syndicaux. Mon syndicat, Avenir hospitalier, représente environ un quart des praticiens hospitaliers. Nous possédons une expertise en matière de risques médico-sociaux. Les chiffres sont trop élevés, même si je suis choqué d'entendre dire parfois que le taux de suicide à l'hôpital n'est pas plus élevé qu'ailleurs. Le suicide ne constitue que la partie émergée des risques psychosociaux à l'hôpital. L'essentiel n'est pas visible ; les pouvoirs publics ont du mal à entendre ces souffrances qu'en tant qu'acteurs de terrain nous connaissons bien et dont nous sommes les porte-paroles. Les Français, à 85 %, plébiscitent l'hôpital public, son efficacité. Pourtant les professionnels s'y sentent moins compris qu'avant, ils ont le sentiment que le sens de leur mission n'est plus clair, subissent des contraintes immaîtrisables à cause d'une réglementation sans cesse changeante.

Dans ce contexte, je voudrais vous rappeler qu'en France, le stress au travail coûte un milliard d'euros, soit un septième du déficit de l'assurance maladie. Ce chiffre atteint 200 milliards de dollars par an aux États-Unis et il représente 10 % du PIB au Royaume-Uni. La problématique de l'épuisement professionnel au travail dépasse donc nos frontières, comme elle dépasse le seul cadre de l'hôpital.

Il faut donc se saisir réellement de ce problème de santé publique et aller au-delà des bonnes intentions et de la bienveillance.

Je le redis, l'hôpital continue, malgré cela, de fonctionner, mais les professionnels, eux, commencent à tituber et, parfois, s'effondrent. Pensons à cet infirmier qui s'est suicidé il y a quelques jours ! Et dire simplement que c'est pareil dans d'autres secteurs ne fait pas avancer les choses...

Auparavant, nous connaissions un consensus sur le sens du travail et de la mission à l'hôpital public, qui comprenaient un engagement et une part de gratuité. Vous non plus, mesdames et messieurs les sénateurs, vous ne comptez pas votre temps de travail. C'est pareil à l'hôpital : une large part du travail ne peut pas se tarifer, se mesurer, s'analyser dans un but strictement gestionnaire. Nous appelons cela le collectif de travail et, personnellement, je pense que ce collectif est en danger.

Le constat est clair : il existe bien, à l'hôpital, une souffrance au travail. Plusieurs études internationales - PRESST-NEXT pour les paramédicaux et SESMAT « Santé et satisfaction des médecins au travail », étude que j'ai pilotée avec Madeleine Estryn-Béhar - ont documenté le phénomène : 42 % de burn-out chez les médecins hospitaliers et 15 % d'intentions d'abandon de la profession. 

Les déterminants de cette situation sont à chercher, en particulier, dans l'insuffisance du travail d'équipe, l'isolement et l'absence d'espaces de délibération. Dans n'importe quelle entreprise, tous les services se réunissent régulièrement pour faire le point. Cela n'existe pas à l'hôpital.

En tant qu'organisation syndicale, nous revendiquons l'expertise qui est la nôtre en la matière, car depuis longtemps, nous travaillons avec les chercheurs qui ont mis ces difficultés à jour.

D'ailleurs, mon organisation syndicale a invité, en 2001, le docteur André Lapierre, fondateur, en 1991, d'un programme d'aide aux médecins du Québec, destiné à prendre en charge les praticiens qui connaissent des addictions. Le docteur Lapierre nous avait notamment expliqué que les problématiques liées à la santé mentale avaient explosé. En effet, des réformes avaient été menées en quelques mois et les professionnels, praticiens, paramédicaux et gestionnaires, en étaient déboussolés. En vingt ans, 20 % des médecins du Québec ont fait appel à ce programme d'aide. 

En France, nous n'avons rien ! C'est seulement depuis quelques mois que les pouvoirs publics semblent s'intéresser à cette question importante de santé publique, qui a des conséquences sociales (abandon de profession, suicide...), mais aussi en termes de qualité des soins, comme Véronique Ghadi, chef de projet à la Haute Autorité de santé, vous l'a indiqué lors de son audition. 

Nous développons notre expertise au travers de différents outils comme l'observatoire de la souffrance au travail des praticiens hospitaliers, que nous avons créé. Les praticiens peuvent déclarer en ligne et, malgré le caractère non anonyme, mais confidentiel, des informations, 20 % des médecins indiquent avoir déjà eu des tendances suicidaires. Voilà la réalité !

En tout cas, tout cela correspond à un changement culturel profond. Je rappelle que nous avons mis des années à faire appliquer la directive européenne 93/104/CE, qui n'a été transposée dans notre statut qu'en 2002 et qui ne s'applique toujours pas aux internes. La prise en compte concrète de la santé au travail fait donc face à une formidable inertie des pouvoirs publics.

Par ailleurs, je note que les directeurs d'hôpitaux sont évalués sur des critères financiers et non sociaux, ce qui est tout de même surprenant. Il existe donc une forme de déresponsabilisation des gestionnaires.

En ce qui concerne le niveau de l'Ondam, il faut certes être pragmatique mais, si on laisse entamer à ce point les fondements mêmes de l'hôpital public, la cocotte-minute risque d'exploser, du fait de la souffrance de l'ensemble des personnels médicaux, paramédicaux et administratifs, y compris d'encadrement.

Je ne vais pas être trop long et j'imagine que vous allez nous interroger sur les moyens de régler cette question. Je souhaite simplement conclure sur le fait que nous entendons prendre toute notre place pour construire un « mieux-être » hospitalier.

Docteur Jacques Trévidic, président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH).  - Je souhaite tout d'abord remercier la commission des affaires sociales d'organiser ces tables rondes sur la qualité de vie au travail des personnels hospitaliers. Il s'agit d'une préoccupation récente des pouvoirs publics, les journaux en parlent régulièrement et il nous faut aujourd'hui trouver des solutions. Je vous ai adressé une contribution générale, que je me propose de vous résumer.

L'hôpital n'est pas une organisation unique et simple, certaines choses marchent, d'autres non. Et parfois, dans un même établissement, il peut y avoir des difficultés dans un service, pas dans les autres. Ne faisons pas de règle générale et examinons les situations au cas par cas.

On constate toutefois que, depuis dix ans, les difficultés se sont nettement aggravées, spécialement depuis la loi HPST qui a détruit les espaces de dialogue (conseils de service ou de pôles...) et a introduit un management nettement plus vertical. Ainsi, la prévalence des situations d'épuisement professionnel est devenue très importante.

Ces difficultés proviennent notamment de l'intensification de l'activité, qui ne touche pas seulement les urgences. Nous connaissons un véritable effet de ciseaux : la demande de soins n'a jamais cessé de croitre, alors même que nous subissons une pénurie de personnel due à la démographie médicale. La baisse du numerus clausus décidée il y a de nombreuses années, mais dont nous subissons aujourd'hui les conséquences, constitue une véritable erreur stratégique ; elle a par exemple entraîné le recrutement de professionnels étrangers qui ne disposent pas des mêmes qualifications. En outre, les carrières hospitalières sont insuffisamment attractives au regard d'autres modes d'exercice, notamment en termes de rémunération. 

Depuis de très nombreuses années, le financement de l'hôpital public est sous pression, c'était déjà le cas du temps de la dotation globale, ça l'est resté avec la tarification à l'activité. La T2A a induit une pression à la fois collective et individuelle, puisqu'il est finalement demandé aux praticiens de faire de plus en plus d'actes. Cette pression dégrade certainement la qualité des soins.

L'insuffisance de la capacité à manager les ressources humaines constitue un autre problème de fond, qui n'est - il est vrai - pas propre à hôpital... Il n'existe aucun enseignement sur ces questions pour les professionnels hospitaliers. Aujourd'hui, le management est principalement vécu comme vertical, ce qui n'est ni acceptable ni souhaitable. Il faut laisser de la place à la démocratie interne, en particulier pour que les agents puissent exprimer leur ressenti. 

Autre problème récurrent de l'hôpital public, l'absence de suivi et de prévention quant à la santé des praticiens hospitaliers, ce qui crée parfois des situations douloureuses. Il s'agit en partie d'un problème culturel, d'où l'importance de la sensibilisation, mais aujourd'hui, rien n'est fait.

Les organisations syndicales de praticiens hospitaliers sont reconnues aux niveaux national et régional, mais pour des raisons historiques, elles n'ont aucune place dans l'hôpital lui-même. C'est une situation incroyable ! Nous pourrions pourtant relayer des situations de souffrance au travail. L'inspection générale des affaires sociales, qui a récemment publié un rapport sur les risques psychosociaux des médecins à l'hôpital, propose de faire une place aux syndicats de praticiens hospitaliers dans les nouveaux comités territoriaux de dialogue social.

Le temps de travail joue un rôle important dans l'épuisement professionnel. Pour la plupart des praticiens, il est défini en demi-journées et personne ne sait réellement ce que ça représente... Certes, la directive européenne fixe une limite hebdomadaire de 48 heures, mais comment la vérifier si les demi-journées ne sont pas traduites en heures ? Beaucoup de collègues, en particulier lorsqu'ils font des gardes sur place, dépassent largement les 48 heures, mais sans que cela ne soit explicite, puisque le calcul est fait en demi-journées ! Je prends un autre exemple : les nuits représentent deux demi-journées, alors que, dans le planning, elles recouvrent souvent 14 heures... Ce flou ne permet pas de vérifier les choses et ne constitue qu'un repoussoir pour les jeunes professionnels, qui souhaitent un meilleur équilibre entre vies professionnelle et personnelle. 

Permettez-moi une dernière remarque. En lisant les comptes rendus des précédentes auditions que vous avez réalisées, j'ai vu que la question des 35 heures est systématiquement remise sur le tapis. On ne peut qu'en être agacé... Cette réforme a été introduite voilà quinze ans ! On peut donc arrêter de dire que tout est de sa faute. Il est vrai que, dans les années soixante, on renvoyait encore la faute aux congés payés... Ce sujet est clivant politiquement, mais il faut tourner la page, car dans les organisations de travail, cela ne veut plus rien dire !

Docteur Rémy Couderc, secrétaire national de la Coordination médicale hospitalière (CMH). - Je tiens aussi à remercier la commission de cette invitation à parler de la pénibilité et de l'attractivité. Ce sont en effet des éléments très importants qui doivent être pris en compte quand on réfléchit à l'avenir de l'hôpital.

Rappelons tout d'abord la faible capacité des médecins à avouer leur propre souffrance au travail ! Il existe une forme de tabou social sur ces sujets. Les choses évoluent, mais très lentement, et beaucoup de choses restent à faire.

Comme cela a été dit, des enquêtes ont clairement montré la réalité de la souffrance au travail des médecins, en particulier PRESST-NEXT. Je ne citerai que deux chiffres : 43 % de personnes déclarent une souffrance au travail et 15 % ont l'intention de quitter la profession. Depuis ces enquêtes, qui ne datent pourtant que de quelques années, la situation a perduré, d'autant que plusieurs réformes sont intervenues entre-temps.

Que signifie la pénibilité quand on parle du corps médical ?

Cela provient d'abord du travail de nuit en horaires alternés, ce qui correspond à la permanence des soins. Il existe, en effet, un flou dans la comptabilisation de ces horaires de nuit, puisqu'une demi-journée équivaudrait finalement à sept heures de travail... On voit bien qu'il faut mettre tout cela à plat.

La pénibilité ne se limite pas au travail de nuit. Elle inclut aussi le travail en milieu délétère : présence d'agents chimiques dangereux ; risques d'exposition aux radiations ionisantes ou au bruit ; risques microbiologiques, viraux et bactériens ; postures pénibles ; port de charges lourdes ; travail répétitif... Il existe donc bien une pénibilité spécifique. Autre exemple : aux urgences ou en réanimation, le travail est très fractionné, ce qui crée une pénibilité particulière. 

Il faut aussi souligner la question de la démographie médicale : dans nombre de disciplines, en particulier celles avec horaires alternés, le nombre de postes vacants est très important. Cela crée aussi une forme de pénibilité.

Sur tous ces sujets, l'employeur a une obligation de prévention des risques psychosociaux, mais aussi d'évaluation. Or, cette évaluation reste tout à fait embryonnaire. Les différentes instances compétentes doivent s'impliquer dans ce travail : commission médicale d'établissement, commissions régionales paritaires ou encore médiateur national. Il existe aussi un débat sur le rôle du CHSCT dans l'évaluation des conditions de travail et sur la participation des médecins à cette instance.

Dans la souffrance au travail, un point important est l'instabilité des organisations. Le monde hospitalier subit des réformes en temps continu, sans temps de repos ou d'assimilation. L'administration et le corps médical doivent donc s'adapter en permanence.

En outre, l'empilement de couches, de strates, crée une distance entre la décision et l'exécution, ce qui pose, d'une part, un problème de temporalité, d'autre part, une forme de détachement du praticien par rapport à l'équipe. Au total, le management participatif est très peu répandu à l'hôpital.

En conclusion, je voudrais dire que l'hôpital subit aujourd'hui une grande injonction paradoxale : d'un côté, la T2A et la production de recettes ; de l'autre, la nécessité de la qualité et de la sécurité des soins, mais à moyens constants ou en diminution. 

M. Alain Milon, président. - Je vous remercie de vos interventions. Sachez que, dans cette commission, nous sommes tout à fait conscients des difficultés de l'hôpital, mais nous avons eu le sentiment, lors de la première table ronde que nous avons tenue sur ce sujet, que la prise de conscience sur la question de la souffrance au travail avait été tardive à l'échelon national, ce qui est assez étonnant. 

M. Gilbert Barbier. - Lorsqu'on évoque les questions de démographie et d'attractivité de l'hôpital, il faut mettre sur la table le problème du niveau de rémunération des praticiens par rapport au secteur privé, en particulier pour les spécialistes. Les choses étaient peut-être comparables il y a trente ans, mais ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, les rémunérations du privé sont sans commune mesure avec celles du public, d'autant plus que vous y atteignez le plafond indiciaire au bout de seulement vingt-quatre ans. 

De nombreuses problématiques s'ajoutent à celle des conditions de travail : l'absence de titulaire pour un poste sur quatre, la désorganisation des hôpitaux, le recrutement de praticiens étrangers, le dysfonctionnement des services... Au total, les choses se sont en effet dégradées. 

La mise en place d'un système vertical et l'emprise de l'administration ont tendance à décourager les personnels. Ainsi, l'instauration des pôles n'a guère laissé de place aux chefs de service pour l'organisation de leurs propres équipes ; ils peuvent en ressentir une certaine pénibilité du fait de l'absence de reconnaissance de leur rôle. 

M. Michel Amiel. - Après un tel diagnostic, le pronostic ne peut qu'être sombre... Surtout, quel traitement prescrire ? La prévention des risques psychosociaux est souvent un sujet secondaire et la situation actuelle, issue de la loi HPST, avec une autorité de type vertical, privilégie la gestion par rapport au sanitaire.

Je voudrais vous interroger sur trois points. Comment corriger les effets pervers de la tarification à l'activité ? Comment « réenchanter » les carrières hospitalières, et plus généralement la carrière médicale ? En ce qui concerne la permanence des soins, la Fédération hospitalière de France a récemment proposé une mesure coercitive : limiter la liberté d'installation pour lutter contre les inégalités territoriales et trouver un meilleur équilibre entre public et privé. Qu'en pensez-vous ? 

M. Yves Daudigny. - Je vous remercie de vos interventions. Mon attention a été attirée sur des exemples du nouveau cadre de décision que vous nous avez présenté où le pouvoir du directeur peut paraître absolu, celui-ci prenant des décisions sans concertation et même à la limite des règles. Il est arrivé qu'au bout du compte, des chefs de service reconnus soient amenés à quitter l'établissement en question. Cela m'amène à vous poser la question du rôle exact du président de la commission médicale d'établissement. Quelle est sa place réelle ? N'est-il qu'une caution des décisions du directeur ? 

Mme Catherine Génisson. - Tout d'abord, merci pour ces témoignages qui vont dans le sens de ceux que nous avons entendus ou connaissons.

Il est vrai que la loi HPST a cassé la collégialité qui pouvait exister entre les parties administratives et soignantes de l'hôpital et que la loi de modernisation de notre système de santé ne l'a pas rétablie. C'est pourquoi je rejoins la question d'Yves Daudigny sur le rôle de la commission médicale d'établissement, en particulier en matière d'organisation de l'hôpital ou de nomination des chefs de pôle. Il me semble que la communauté soignante doit retrouver la place qui doit être la sienne.

Vous avez évoqué la question de la comptabilisation du travail par demi-journées mais pour aboutir à une reconnaissance horaire, doit-on en passer par un système de pointage, comme cela existe déjà dans certains établissements ?

Je voudrais aussi vous interroger sur la place des médecins contractuels à l'hôpital et les déséquilibres qu'ils peuvent créer.

Enfin, je dois dire que la question de la rémunération des praticiens hospitaliers n'est pas nouvelle. D'ailleurs, les choses se sont peut-être un peu améliorées. La véritable question n'est-elle pas, plutôt, celle de l'augmentation des émoluments dans le secteur privé ? 

Mme Laurence Cohen. - Je vous remercie également pour ces témoignages, qui corroborent ce que nous constatons sur le terrain et avons déjà entendu en audition. Mais encore faut-il, mes chers collègues, en tirer les conséquences sur les votes qui ont lieu en séance publique ! Ne nous étonnons pas des conséquences désastreuses des économies demandées, encore trois milliards pour cette année ! Au groupe CRC, nous ne sommes pas surpris, nous sommes révoltés !

La loi HPST a créé un certain nombre de problèmes et la loi de modernisation de notre système de santé, qui finalement la conforte, n'a pas arrangé les choses. Ainsi, les groupements hospitaliers de territoire éloignent la prise de décision et rompent les liens de proximité.

En ce qui concerne le financement, comment éliminer le système de la T2A ? Plus généralement, que pensez-vous du niveau extrêmement bas de l'Ondam ? En tout cas, cela a des répercussions sur la manière dont les instances internationales regardent et classent notre système de santé.

Les réformes s'enchaînent, sans concertation avec les personnels et les usagers, ce qui pose aussi la question de la démocratie sanitaire. Or, nous avons besoin de contre-pouvoirs. Comment voyez-vous les choses en la matière ?

Ensuite, je souhaite remercier le docteur Trévidic de sa mise au point - salutaire - sur les trente-cinq heures !  

Le statut des praticiens hospitaliers doit être revu et les métiers reconnus, y compris pour les paramédicaux. L'absence de cette reconnaissance crée une insatisfaction, une souffrance.

Enfin, parler de management est-il vraiment utile à l'hôpital public ? Je ne suis pas certaine que cela reflète bien ce qu'il doit être car, pour nous, il n'est pas une entreprise comme une autre. 

M. Olivier Cigolotti. - La question de la verticalité du management a été évoquée mais je m'interroge, en ce qui me concerne, sur la dégradation de la relation entre les personnels soignants et les patients, qui se traduit, dans certaines situations, par des actes de violence. Il est vrai que notre société se caractérise par une forme d'immédiateté, mais comment restaurer ce lien ? 

Mme Annie David. - Je partage largement les propos de Laurence Cohen et je souhaite remercier les intervenants. 

En ce qui concerne le financement, je me demande vraiment comment l'on peut continuer à fonctionner dans de telles conditions. Demander chaque année des économies ne peut pas durer indéfiniment...

Nous devons aussi nous poser la question de l'organisation et je trouve que le terme de management n'a pas sa place à l'hôpital. C'est un dévoiement car il doit être dirigé par des équipes, au service des patients. Finalement, la loi HPST, en introduisant ce management vertical, a cassé la gestion humaine.

Enfin, comment les hôpitaux peuvent-ils continuer à exercer leurs missions de service public ? Dans mon département, ils rencontrent de très grandes difficultés, par exemple en matière psychiatrique. Ils doivent conserver une grande proximité avec les populations pour répondre aux besoins des malades. 

M. Michel Forissier. - Je souhaite également vous remercier. Je ne suis pas médecin, mais il m'est arrivé d'être un patient et, en tant qu'élu, je siège au conseil de surveillance de l'hôpital Le Vinatier dans l'agglomération lyonnaise, que nous avons profondément restructuré. Je sais que les personnels hospitaliers ont le sens de l'éthique et des responsabilités. 

Malgré le grand nombre de métiers présents, la gestion des ressources humaines est souvent déficiente et les aspects liés aux coûts ou à l'organisation ont longtemps été minorés, voire insignifiants. Dans les entreprises privées, il existe un plus grand souci de l'accompagnement du personnel. À l'hôpital, les médecins se fixent finalement des obligations de réussite et les évolutions des techniques et des savoirs entraînent des mutations permanentes.

Un compromis doit être trouvé entre ces différents impératifs, sans que les décisions, qui doivent venir du terrain, ne soient imposées d'en haut. Je suis optimiste : malgré les présentations souvent catastrophistes, l'hôpital public marche plutôt bien.  

M. Gérard Roche. - Il est vrai que, dans la T2A, c'est le rendement qui compte, ce qui a profondément modifié les choses. Comment trouver un meilleur équilibre entre un système d'enveloppe globale et un uniquement lié à l'activité ? On se félicite bien évidemment de la progression de la technicité des soins, mais cela augmente aussi le risque médico-légal, ce qui pèse sur les personnels. Enfin, je souhaite moi aussi vous interroger sur le rôle effectif de la commission médicale d'établissement et du chef de service. 

M. Daniel Chasseing. - Aujourd'hui, les charges administratives rebutantes, l'éloignement des lieux de décision, le numerus clausus, le niveau des salaires ou encore le temps de travail affectent l'attractivité de l'hôpital pour les médecins. Les choses devraient pourtant s'améliorer et certains services fonctionnent bien, malgré tout. J'ai été surpris de voir que certaines souffrances ont explosé depuis 2000, alors qu'elles ne sont pas particulièrement mises en avant. Enfin, quel est le rôle de la commission médicale d'établissement en matière de recrutement, en particulier vis-à-vis du directeur ?  

Docteur Jean-Marie Scotton. - Je ne vais évoquer que quelques-uns des sujets qui ont été soulevés. Tout d'abord, on constate tout de même une nette dégradation du pouvoir d'achat des praticiens. Pour attirer les jeunes, il faut mettre l'accent sur les mesures qui ont déjà été prises, mais il faut surtout appliquer les textes existants ! On constate par exemple que la manière de prendre en compte les gardes et les astreintes donne parfois lieu à des choses inadmissibles, qui sont contraires aux instructions. Il existe aussi un doute sur l'application du protocole d'accord par tous les établissements, ce qui n'est pas satisfaisant. 

« Réenchanter » l'hôpital ? C'est une belle idée. Elle doit s'appuyer sur un projet et une équipe. La rémunération n'est pas la principale motivation pour les praticiens qui souhaitent d'abord construire quelque chose et se réaliser professionnellement. Pour cela, il faut un projet d'établissement clair, qui donne des responsabilités à chacun, ce qui n'est plus possible depuis la loi HPST.

Le rôle du président de la commission médicale d'établissement, comme celui du directeur, dépend largement de l'endroit et des personnes. Cela fonctionne bien dans nombre d'établissements, ceux où le dialogue social est fort.

La mise en place des groupements hospitaliers de territoire est un enjeu important, dans les prochaines années, pour la prise en charge de la population. Ils ne doivent pas aboutir à évincer les médecins qui ont bien travaillé. Dans ce cadre, le projet médical de territoire, qui doit associer et respecter les médecins, est essentiel.

Les risques médico-légaux sont prégnants - comme obstétricien, je le sais bien -, mais ils ne sont pas liés seulement à la technicité. Il y a eu des progrès en la matière. 

Il faut un rééquilibrage des pouvoirs, notamment sur le rôle de nomination de la CME. Des médecins sont partis, car ils se sentaient écartés de tout pouvoir de décision.

Je suis confiant. L'hôpital peut assurer toutes ses missions de service public si on lui en donne les moyens et si l'on organise la concertation de tous les acteurs sur le territoire. Dans une équipe avec un projet, les jeunes praticiens se sentent intégrés et ils sont motivés. Ce ne sont pas des mesures financières qui régleront le problème de l'attractivité.

Docteur Alain Jacob. - La rémunération des médecins n'est jamais à l'origine de conflits ou de risques psychosociaux au sein des établissements. Elle varie d'environ 30 % entre les praticiens, selon la participation à la permanence des soins, l'exercice libéral à l'intérieur de l'hôpital, la spécialité, l'activité... Le principe de la rémunération statutaire, qui implique une « prime au vieillissement », mériterait d'être amélioré. 

Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt ! Nous ne pourrons pas occulter le débat sur les différences de rémunération entre les régions ou les spécialités. Il faut probablement revoir certains aspects du statut de praticien hospitalier, qui date de 1984 ; je pense notamment à la rémunération. 

L'enjeu du management n'est pas de savoir qui a le pouvoir ; il est de faire fonctionner au mieux l'hôpital public, pour lui permettre de remplir ses missions. Le management à l'hôpital est de plus en plus complexe, du fait du nombre de métiers et des systèmes d'information. Il manque un management prospectif bienveillant de la carrière des praticiens à hôpital : introduisons une modularité de la carrière, qu'il s'agisse de l'activité ou de la formation continue, et réfléchissons à des possibilités de temps partiel ou de mobilité entre public et privé.

La seule restriction à la liberté d'installation réside dans la difficulté pour des médecins hospitaliers quittant l'hôpital de se réinstaller sur le même territoire. Le maintien de l'activité de l'hôpital public passe par l'attractivité hospitalière, pas par l'interdiction d'installation des praticiens.

Docteur Max-André Doppia. - La violence existe partout, y compris à l'hôpital public. 

Mais ce qui inquiète les professionnels, ce n'est pas la peur de se faire agresser. C'est la violence institutionnelle, dont on ne parle jamais. Il est impossible pour les soignants de s'exprimer, de décrire le décalage croissant entre leurs aspirations et la faiblesse des moyens dont ils disposent.

La rémunération n'est pas le seul problème. Certes, les revenus des praticiens ne sont pas toujours suffisants. Mais, par expérience, la plupart de ceux qui quittent l'hôpital public le font parce qu'ils pensent avoir un espace professionnel plus adapté à leurs aspirations ailleurs. Nous devons chercher à comprendre leurs raisons. Je regrette qu'il n'y ait pas un entretien systématique entre la direction, le président de la CME et le praticien - il devrait alors être accompagné d'un responsable syndical - qui veut partir.

La personne qui, à tort ou à raison, se sent harcelée au sein de l'hôpital public ne dispose pas d'un espace pour exprimer son point de vue. Il faut lui offrir un tel cadre. La souffrance est d'abord subjective.

Nous devrions être mieux formés que nous ne le sommes pour assumer la technicité des soins. Notre pays souffre d'un retard considérable sur le nombre de laboratoires de simulation - il s'agit de simulations techniques ou de simulations relationnelles - implantés dans les territoires.  

Le risque médico-légal est notre métier. Quand j'endors un patient, je sais que je prends un risque. Mais on ne nous donne pas les moyens d'exercer notre art, ce qui crée effectivement des situations de conflits au sein de l'hôpital public. L'institution se dédouane très facilement en disant que c'est le problème des praticiens.

L'Ondam et la définition de l'absence de progression de la marge pour les établissements publics, qui sont des décisions nationales, ont des conséquences sur le terrain au quotidien. Or il n'est pas possible d'en parler à l'hôpital ; on nous renvoie toujours à des schémas directeurs. 

Le pointage n'est pas la solution. La véritable question est de savoir si le praticien hospitalier se sent bien dans un espace où il a encore envie donner quelque chose et où il peut s'exprimer comme il le souhaite. Si nous sommes à l'hôpital public, c'est parce que nous avons fait ce choix ! 

Il y a des archaïsmes. Suspendre « à titre conservatoire » pendant une longue durée un praticien hospitalier sans l'informer de ce qui lui est reproché, cela relève de la lettre de cachet ! Nous revendiquons l'abolition de ce système. Le directeur qui prend une décision aussi lourde de conséquences doit informer le praticien pour que celui-ci désigne immédiatement un responsable syndical chargé de recevoir les documents justificatifs. Comme ce n'est pas le cas aujourd'hui, cela finit parfois devant les tribunaux, voire en tentatives de suicide !

Le Centre national de gestion (CNG) gère les carrières des praticiens hospitaliers et des directeurs. Mais, lorsque des décisions de réintégration de praticiens dans leurs fonctions sont prises, personne ne vérifie l'effectivité de la réintégration. C'est un facteur de risques psychosociaux très important.

On nous dit, depuis des années, que le temps de travail des praticiens hospitaliers est, par principe, défini en demi-journées et, par exception, en temps dit « continu », pour ne pas dépasser quarante-huit heures. Mais on ne précise jamais le temps minimum. C'est vraiment problématique. Si la question du temps de travail a fait irruption chez les médecins hospitaliers, qui ne sont pourtant pas à une heure de travail près - quel professionnel de santé mégoterait pour quelques minutes, voire quelques heures ? -, c'est parce qu'ils ne se sentent plus suffisamment autonomes. Les praticiens ont besoin d'autonomie pour se sentir bien au sein d'une équipe qui s'est fixé une organisation avec des missions précises.

Le plan d'action pour l'attractivité de l'exercice médical à l'hôpital public, en cours de discussion, comporte un volet temps de travail. Il est insupportable de dénier aux médecins hospitaliers le droit d'être fatigué, de vaquer à leurs occupations sociales ou familiales, d'être malades ou même de faire une pause.

Lors d'une CME, j'ai exprimé mon regret de n'avoir pas pu assister un soir à une rencontre entre enseignants et parents d'élèves au lycée de ma fille pour des raisons professionnelles. Et le président de la CME m'a répondu violemment que l'on ne choisit pas l'hôpital public pour aller aux réunions entre enseignants et parents d'élèves ! Ce qui m'a le plus peiné, c'est qu'aucun de mes collègues ne prenne ma défense. 

Aujourd'hui, le problème de l'hôpital est la perte du lien social. Il faut le restaurer, avec des dispositions législatives et réglementaires, mais aussi avec des dispositifs très concrets.

Docteur Jacques Trévidic. - Lorsque je m'étais exprimé sur la tarification à l'activité, ou T2A, devant votre commission voilà plusieurs années, j'avais déjà pointé un certain nombre de faiblesses. Depuis, deux tentatives de réforme, dont celle du comité de réforme de la tarification hospitalière, le Coreta, ont accouché d'une souris. 

La T2A présente des défauts conceptuels. Si elle est certainement positive pour un certain nombre d'activités, elle a beaucoup moins de sens pour les maladies chroniques. Il aurait une réforme profonde, ce qui n'a pas été le cas, en raison de freins technocratiques, d'un manque de volonté politique et, peut-être, de considérations d'image : il est probablement plus gratifiant pour un manager de percevoir des recettes que de gérer des budgets.

C'est au Parlement qu'il appartient de voter l'Ondam. Cela relève de choix de société.

Le principal problème sur les rémunérations concerne l'entrée de carrière, qui n'est pas attractive. Les jeunes n'ont pas envie de devenir praticiens hospitaliers. Les résultats du récent plan lancé par Mme la ministre pour l'attractivité des carrières hospitalières ne sont pas nuls, mais ils restent en demi-teinte. Il y a eu des blocages technocratiques. Des mesures qui auraient été simples et visibles, comme la suppression des cinq premiers échelons, n'ont pas été prises. 

Le fait que la participation à la permanence des soins soit obligatoire à l'hôpital public et facultative dans le privé crée une différence d'attractivité. Pourquoi la permanence des soins repose-t-elle seulement sur l'hôpital public ?

La loi HPST, a vidé les CME de leur pouvoir décisionnel et supprimé un certain nombre d'espaces de discussion. Depuis cinq ans, il y a eu des dispositions - ainsi, un décret de 2013 a restauré un certain nombre d'avis de la CME - pour revenir sur cette évolution ; mais ce n'est pas allé assez loin. 

La CME n'a pas à se prononcer sur les nominations, comme c'était le cas auparavant. Ne confondons pas la CME et le président de la CME. Certes, ce dernier est bien élu, mais par un collège électoral dont la moitié des membres sont nommés par le directeur ; sa légitimité démocratique est donc limitée. 

Le rôle du président de CME a évolué. Autrefois, il dirigeait les débats. Aujourd'hui, il a un rôle institutionnel incontestable ; représenter l'institution, avec, dans certains cas, des conflits d'intérêts possibles. Il est inadmissible que les syndicats de praticiens hospitaliers, censés défendre les intérêts matériels et moraux de leurs mandants, n'aient aucune place dans l'hôpital public aujourd'hui. 

Sur le temps de travail, il y a une proposition consensuelle des cinq intersyndicales de praticiens : découper la journée de vingt-quatre heures non plus en quatre demi-journées, mais en cinq. Cela permettrait un rééquilibrage et pénaliserait moins le travail de nuit. Mais cette proposition a été refusée. Du coup, des jeunes demandent le décompte horaire, alors que nous aurions pu parvenir à un vrai consensus avec le découpage en cinq demi-journées. 

Les cinq intersyndicales de praticiens hospitaliers, ici présentes, ont défendu la création des groupements hospitaliers de territoire, les GHT. Proximité des soins ne signifie pas nécessairement sécurité des soins. L'évolution technologique de la médecine ne permet pas de faire dans un espace réduit ce que l'on peut faire dans un espace plus sûr. Ce message est très difficile à faire passer aux élus et à la population. Mais, s'il y a des déserts médicaux, c'est parce que praticiens craignent de mettre leurs patients en danger ou se sentent eux-mêmes en danger professionnellement.

En France, nous ne savons pas gérer les ressources humaines à l'hôpital public ; nous ne savons pas gérer l'évolution des carrières dans le temps.

Docteur Rémy Couderc. - Ce sera difficile de « réenchanter la carrière médicale » avec la tarification à l'activité...

Il faut que les jeunes aient envie d'entrer dans les carrières médicales à l'hôpital public. Les mots « éthique » et « responsabilité », qui ont été prononcés, me laissent penser que c'est possible : le jeune praticien formé à l'hôpital public a une haute idée de son éthique et de sa responsabilité. Cela suppose une large autonomie : laisser des plages libres pour d'autres activités. Un urgentiste ne doit pas être cantonné aux urgences ; il doit avoir d'autres possibilités pour s'épanouir.  

Le terme management pose effectivement problème ; il faudrait trouver un équivalent en français. Je préfère parler de gestion des ressources humaines. Il faut rétablir les occasions, voire les obligations de dialogue dans les directions, pour faire de la prévention en amont. Les conseils de service doivent reprendre l'habitude de se réunir régulièrement. Cela n'empêche pas l'autonomie du praticien. 

Certes, la rémunération des praticiens hospitaliers peut être un facteur déterminant pour partir : si la qualité de vie au travail est pire dans le public, autant aller dans le privé pour gagner plus. Mais ce n'est pas l'élément primordial. 

La mise en place de la tarification à l'activité a été parallèle à la prééminence du directeur à l'hôpital, dans le cadre de la loi HPST. Mais, avec la crise nationale et mondiale, les hôpitaux se sont beaucoup endettés, ce qui a joué un rôle très important dans la pression mise sur les directeurs.

La mise en place de l'échelle nationale des coûts a été faite sur un panel de cinquante hôpitaux dits « représentatifs ». Je pense que c'est imprécis. Certaines activités, comme la pédiatrie, ont été sous-évaluées. Les recettes sont insuffisantes et cela fait entrer dans une spirale infernale, avec l'injonction contradictoire à faire plus avec moins de moyens. 

L'Ondam est réglé par les prix volume. L'augmentation de l'activité a pour effet pervers une baisse des prix. 

La CME doit élargir son champ de prérogatives, notamment sur la politique médicale et la sécurité des soins. Les nominations de personnels médicaux devraient être conjointes entre le président de la CME et le directeur de l'hôpital.

Aujourd'hui, les activités de prévention représentent 3 % des dépenses courantes de santé, ce qui est très faible. Il faudrait les favoriser et les valoriser. De même, le progrès médical devrait être valorisé en dehors de la tarification à l'activité.

Le professeur Gérard Réach a animé une commission sur l'hospitalité à l'hôpital. L'hospitalité doit s'appliquer au patient que l'établissement accueille, mais également entre les professionnels de santé. 

M. Alain Milon, président. - Je laisse à chaque intervenant nous livrer sa conclusion. 

Docteur Rémy Couderc. - L'attractivité, c'est ce qui permet de diminuer la souffrance au travail. Elle doit d'abord concerner le début de carrière. Les jeunes praticiens doivent être mieux rémunérés, avoir des responsabilités claires et pouvoir s'intégrer dans une équipe où il y a un vrai dialogue et de vraies missions.

Le statut de patricien hospitalier doit pouvoir être moins rigide, avec des possibilités, comme autrefois, d'échelon accéléré ou de missions transversales.

Docteur Jacques Trévidic. - L'excellence du système santé français repose sur la coexistence de deux systèmes différents : le public et le privé. Tous deux obéissent à des logiques différentes, avec des avantages et des inconvénients propres. C'est cette juxtaposition qui permet à nos concitoyens d'être bien soignés. Tout mélange entre les deux systèmes serait contreproductif.  

Le système public suppose des établissements publics de santé et des personnels avec un statut public. Un éventuel statut semi-privé serait source de confusion. Il faut un système public qui fonctionne avec des règles du public et un système privé qui fonctionne avec les règles du privé.

Docteur Max-André Doppia. - Il y a besoin de redéfinir un contrat social avec les soignants. Les tensions, les attentes insatisfaites et les incompréhensions, par exemple avec la sécurité sociale et les agences régionales de santé, sont de plus en plus nombreuses, dans le public comme dans le privé. 

Les organisations syndicales de praticiens hospitaliers sont des organisations responsables. Nous souhaiterions que vous souteniez les demandes en faveur d'une reconnaissance de leur expertise au sein des établissements. Il n'y a aucune raison que les praticiens soient écartés de l'exercice de droit syndical, qui est constitutionnel.

Des expériences et des outils existent déjà. Nous vous communiquerons d'autres documents, par exemple pour décrire ce qui se passe ailleurs. Il y a aussi des tests d'évaluation, que l'on peut faire individuellement ou collectivement.

Nous sommes favorables à une plateforme de déclaration de souffrance au travail. Chaque praticien qui se sentirait en situation de souffrance pourrait compléter cette déclaration et recevoir un soutien d'experts syndicaux pour être orienté vers le bon interlocuteur.

Je souhaite que votre commission puisse écouter Mme Pascale Le Pors, vice-présidente d'Avenir hospitalier. Elle exprimera le point de vue d'une femme médecin hospitalière, responsable syndicale, gynéco-obstétricienne. 

Docteur Alain Jacob. - J'insiste sur l'évaluation. Pour comprendre le fonctionnement d'un système ou engager des réformes, il faut avoir procédé à des évaluations. Cela suppose des critères d'évaluation et du temps. 

Nous avons confiance dans les GHT. La question est bien celle de l'homogénéité de l'offre de soins sur l'ensemble d'un territoire, avec un projet médical partagé et une convention constitutive. Chaque citoyen d'un territoire doit avoir les mêmes chances. Évidemment, il faut une gradation des soins entre l'hôpital support et les différents établissements qui font partie du GHT. Nous avons la responsabilité de nous organiser.

Docteur Jean Marie Scotton. - Une note d'optimisme : je constate une responsabilisation des usagers, qui connaissent le fonctionnement du système et souhaitent être associés. C'est un signe d'espoir pour l'avenir des établissements hospitaliers, voire pour la démocratie. 

Un souhait : retrouvons pour les GHT le souffle qui avait prévalu voilà une trentaine d'années lors du lancement du plan de périnatalité ; les médecins avaient été pleinement associés, à tous les stades. Certes, cela s'est étiolé depuis... La loi HPST a concentré les pouvoirs entre les mains du directeur et du président de CME. Les médecins ne peuvent plus s'approprier tous ces enjeux. Or, si les acteurs de terrain ne sont pas associés, cela ne marchera pas. 

Sur la souffrance au travail, n'oublions pas le rôle du médecin du travail, qui est indépendant par rapport à l'administration, ou celui du conseil l'ordre. Et il est dommage que les commissions régionales ne se réunissent plus ; elles auraient tellement à faire, notamment en ce domaine. 

Docteur Pascale Le Pors, vice-présidente d'Avenir hospitalier. - Nous essayons d'avoir la parité au sein des syndicats, mais ce n'est pas toujours facile, surtout pour les femmes qui assurent la permanence des soins. 

Malgré les gardes sans fin et les difficultés pour les femmes enceintes, les jeunes médecins étaient plus heureux voilà trente ans qu'ils ne le sont aujourd'hui.

L'attractivité pour les jeunes, ce ne sont pas les postes multisites ! Les jeunes veulent des plateaux techniques sûrs. La sécurité dans leur travail est leur première préoccupation. 

Attention aux fausses bonnes mesures, prises pour se donner bonne conscience. C'est évidemment une bonne chose que les femmes médecins hospitalières enceintes aient le droit de ne plus prendre de garde à la fin du premier trimestre. Mais, comme aucun moyen budgétaire n'est mobilisé pour assurer la compensation, il y a mécaniquement des problèmes qui se posent ! 

Les usagers, c'est notre quotidien. Il faut parler de leurs droits et devoirs, et non plus de leurs droits seulement. 

M. Alain Milon, président. - Beaucoup de thèmes ont été évoqués : les rémunérations - il faut peut-être supprimer les cinq premiers échelons -, la carrière, l'attractivité, l'endettement... D'ailleurs, selon certains, l'investissement immobilier ne doit pas être pris en charge par la santé.

La tarification à l'activité a certainement des effets inflationnistes et peut entrer en contradiction avec le principe de l'enveloppe fermée qui découle de l'Ondam. Il faudra trouver des solutions, notamment sur le financement de la sécurité sociale.

 

 

 La réunion est levée à 12 heures.