Textes officiels

Hôpitaux verrouillés, hôpitaux à déverrouiller ? - Nicole Smolski

Catégorie : Non catégorisé
Publié le vendredi 17 mars 2017 13:36
La Fédération Hospitalière de France (FHF), organisme qui regroupe les établissements de santé, leurs dirigeants et les Conférences de PCME et de Directeurs, vient de sortir sa plate forme de propositions pour 2017, année électorale.
 
Les positions de la FHF sont toujours à prendre en compte très attentivement, la FHF étant un puissant lobby face aux pouvoirs politiques quels qu’il soient. À la manœuvre pour HPST, pour la territorialisation et les GHT, on voit que leurs propositions sont entendues, reprises, et concrétisées, même si ce n’est pas instantané.
 
Position complexe, car la FHF se veut à la fois défense du service public, et défense des employeurs hospitaliers : deux positions qui parfois mènent à un grand écart idéologique, comme on a pu le voir lors de toutes les discussion sur l’attractivité des carrières médicales hospitalières, où ses représentants ont toujours freiné toute avancée notable, tout en affichant officiellement des besoins de réformes pour ré-enchanter les praticiens hospitaliers.
 
Cette plate forme présidentielle (http://www.fhf.fr/Actualite/A-la-Une/La-plateforme-de-propositions-de-la-FHF-pour-2017-2022) présente 12 orientations politiques à l’intention des candidats, et 50 propositions plus détaillées, destinées au prochain ministre de la Santé, afin de « déverrouiller » le système de santé et « libérer les énergies » des professionnels.
 
Le mandat présidentiel se veut un tissu de très bonnes intentions, appelant à une mutation nécessaire pour que les hôpitaux accordent plus de confiance aux initiatives de terrain, et puissent décider d’une simplification des strates administratives, et valoriser ceux qui font le service public. Excellent postulat, pour nous soignants qui désormais croulons sous les diverses couches managériales et bureaucratiques. 
 
Sauf que la lecture attentive tout le long du texte, mais principalement dans la priorité n°6 (« Donner des marges d’action accrues aux établissements publics pour leur permettre de s’adapter plus vite aux réalités territoriales ») fait vite comprendre que cette description de la bureaucratie et de l’enfermement de toute initiative n’est pas celle que nous vivons auprès des patients dans notre quotidien : la bureaucratie décrite est plutôt celle que déclarent vivre les directions d’hôpitaux, qui s’estiment coincées par les ARS dans ce qu’ils décrivent comme une centralisation étatique.
Nulle part n’est relevée la même exigence pour diminuer la contrainte et la bureaucratie au sein de nos hôpitaux : pourtant, c’est bien une clé de déverrouillage que nous, praticiens des hôpitaux, aimerions voir appliquer ! Si la FHF réclame un allégement des effectifs des ARS, nous pouvons nous aussi prôner un allègement des effectifs administratifs et bureaucratiques de nos établissements, pour consacrer ces budgets aux effectifs de soignants ! Mais il est vrai qu’appliquer des techniques de management libérales aux services publics nécessite un encadrement puissant et très dispendieux : c’est là la contradiction du New Public Management dont nous vivons les affres depuis 10 ou 20 ans, mais sur laquelle la FHF ne propose pas de revenir, sauf pour leurs contraintes à eux ! 
On peut prôner l’agilité dans les missions à mener, mais cette agilité ne semble à décliner qu’entre ARS et directions hospitalières, pas au cœur des missions de soins pour lesquelles on ne nous propose plus jamais la possibilité d’être agiles. 
 
Il est utile d’applaudir aux propositions de réaliser une « convergence des devoirs » entre tous les acteurs de santé financés par des fonds publics (on peut se demander lesquels y échappent dès que l’Assurance Maladie entre en jeu?) plus qu’une convergence tarifaire qui met dans la même cour ceux qui sélectionnent leurs patients et nous.
 

Concept d’autnomie des hôpitaux : méfiance !

Au milieu d’un fatras de mots creux et de bons sentiments très généraux, et de langage hyper-techno, (principe de « responsabilité populationnelle », qualité et santé publique au cœur du projet de santé territorial, nouvel élan à la démocratie en santé), il faut surveiller de très près un concept décliné et susurré tout le long du document : celui d’autonomie des hôpitaux. Ce concept, qui va de concert avec la diminution réclamée du poids étatique des ARS, est la déclinaison aux hôpitaux de ce qui a été mis en place pour les universités en 2007 : sous couvert de plus de liberté, de « libérer les énergies », c’est, au sein de budgets hyper-contraints, donner aux managers universitaires non plus le rôle d’enseignants ou de chercheurs, mais celui de gestionnaires. C’est créer des hôpitaux riches et des hôpitaux pauvres, c’est ouvrir la porte comme dans les universités à de nombreuses dérives, anomalies et contournements des règles, relevés par la Cour des Comptes : une politique de ressources humaines axée sur des primes et des indemnités croissant plus vite que les effectifs, le souci de rétribution des mérites individuels ouvrant la porte à tous les arbitraires et copinages : on vit déjà à l’hôpital dans un management par des castes, mais au moins y-a-t-il des garde-fous : l’autonomie des hôpitaux, c’est la porte ouverte aux hiérarchies entre bons médecins (les obéissants aux dogmes managériaux, ou ceux qui produisent de la T2A), et les autres
 

On est bien loin d’une politique sociale de bienveillance au travail !

Cette porte ouverte à toute dérèglementation est confortée par les priorités n°4 et 5 : « respecter et prendre soin des professionnels de santé », « un nouvel élan d’attractivité médicale ». 
A l’heure où les risques psycho-sociaux au sein des hôpitaux émergent avec une telle violence que la Ministre a dû prendre des mesures, la FHF recommande de répartir différemment les compétences à moyens constants et de donner de nouvelles responsabilités aux professionnels de santé (traduire : « transferts de tâches » à tous les étages), de créer des outils de valorisation du mérite et d’intéressement (traduire : primes au rendement), favoriser la promotion par l’encadrement (traduire : la seule promotion c’est devenir manager) : on peut dire que la FHF est passée totalement à côté de ce que doit être une politique sociale de bienveillance au travail : le temps des « Hôpitaux magnétiques » n’est hélas pas arrivé et Mr Couty va avoir beaucoup de travail. 
 
Ce n’est pas le Projet Médical tel que conçu par la FHF qui va redonner envie aux praticiens de s’engager dans le service public : une fois de plus, c’est les équipes qui doivent le concevoir, et pas des managers même médicaux, même après une révolution du management médical : fondamentalement, nous n’avons pas besoin de managers médicaux. Nous avons besoin de pairs, épanouis dans leur travail quotidien, avec les moyens de travailler au plus près des patients, de pouvoir monter des projets au sein des équipes, sans rencontrer des obstacles incessants et totalement démotivants au vu de leur lourdeur : déverrouillez les organisations managériales au sein des hôpitaux, faites confiance aux acteurs, accompagnez-les, et vous verrez que l’hôpital redeviendra attractif. L’hôpital se meurt de ses petits chefs et de ses grands chefs, mais ça la FHF ne le voit pas.
 
Les propositions de réforme du financement des hôpitaux ne sont pas révolutionnaires, la T2A va rester le maître mot du financement : à la hauteur du peu de réformes du financement engagées par le Ministère malgré ses engagements initiaux ! 
 
 

Les clés de déverrouillage

 
Entendre que l’hôpital est verrouillé est assez infamant, quand on voit les capacités d’adaptation dont il est capable en cas de crise sanitaire ou lors des attentats récents. Bien sûr que l’hôpital doit évoluer, avec son temps et son environnement. Ces clés sont tellement sous-tendues par un processus idéologique et politique de libéralisation, d’autonomie, de levée de toutes les « contraintes » qui empêchent les managers de gouverner comme ils l’entendent, que la lecture de ces clés de déverrouillage conduit à la nausée : en filigrane, on peut lire que la suppression des statuts, des professions, des directives européennes protectrices, des arbitrages par l’Etat, des outils de dialogue social actuels, vont permettre à des hôpitaux autonomes d’augmenter la durée de travail, de modifier les rémunérations, d’organiser les délégations de tâche comme bon semblera localement utile à ces managers et cadres enfin renforcés dans leur autorité. Sauf que si nous voulons ce genre d’organisation du travail, encore pire que celle de maintenant où existent des garde-fous, autant aller dans le privé, où nous gagnerons plus tout en étant mieux considérés par les directions !. 
 
En réalité, tant que le Service Public Hospitalier sera contraint par un ONDAM trop bas, par une nécessité de courir après la rentabilité au prix de choisir ses patients d’user à la tâche ses acteurs ou à les faire partir écoeurés par les incompatibilités entre ce pourquoi ils ont choisi le service public et ce qu’on les oblige à vivre, toutes les clés de déverrouillage ne seront qu’un cautère sur une jambe de bois : ce n’est pas ça qu’une plate forme destinée au futur Président de la République doit contenir.